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Lycée Edouard Herriot Lyon
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Le lycée Édouard Herriot est un lycée général et technologique avec des CPGE (Hypokhâgnes et Khâgnes) situé en centre ville (place Edgar Quinet, Lyon 6e).

Les assises du Roman 2018 : Rencontre avec Rosa Montero
Article mis en ligne le 18 juin 2018
dernière modification le 14 juin 2021

par Annie Fabre

Les Assises Internationales du Roman en espagnol

LES ASSISES INTERNATIONALES DU ROMAN

Comme chaque année, des élèves hispanisants ont participé au projet Graines de critiques dans le cadre des Assises Internationales du Roman organisées par la Villa Gillet, projet interdisciplinaire mené par Madame GARCIA professeure d’espagnol avec la collaboration de Mesdames GREGORIO (professeure d’espagnol) et LASSERRE, (professeure documentaliste) et de Monsieur SALLIOT (professeur de sciences physiques).

Les Te LV3 et une classe regroupant 1re S1 et S2 ont travaillé sur un livre de Rosa MONTERO, l’idée ridicule de ne plus jamais te revoir, et rédigé une critique et une biographie parues dans Cnews, le supplément gratuit du Progrès. Pendant les Assises, certains l’ont rencontrée seule, en librairie puis d’autres ont fait sa connaissance lors de la table ronde à laquelle elle a participé aux Subsistances

Montero_Cnews.pdf.webloc

Ci-dessous quelques exposés d’élèves

  • Première rencontre avec l’auteur à la Librairie Ouvrez l’œil, 18 rue des Capucins Lyon 69001, le jeudi 24 mai

Traduction en espagnol d’un livre pour enfants sur Marie Curie, par les S1 & S2, offert à Rosa Montero

Rosa Montero tenant le livre sur Marie Curie offert par les élèves à la librairie Ouvrir l’œil, 18 rue des Capucins lyon 69001

Elèves de 1re S1 & S2 avec Rosa Montero à la librairie Ouvrir l’œil,
18 rue des Capucins lyon 69001

-* Deuxième rencontre avec l’auteur : des élèves de 1re S1 & S2, aux Subsistances, le vendredi 25 mai autour de Rosa Montero

Intervention de Mme LASSERRE

  • « Rosa Montero, les hashtags et le livre » – Mars 2018 -

L’approche du texte de Rosa Montero par la question du genre (biographie, roman-biographique, ou autobiographie ?) constituait un point de vue littéraire sur le livre L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir : nous avons pu le décrire comme un laboratoire de l’expérimentation littéraire.
La question de l’usage des hashtags, soit « mots-clés », interroge le point de vue éditorial. En quoi l’utilisation de ce signe issu de l’internet des réseaux sociaux, gimmick de notre modernité, sert-elle le projet de l’écrivain ?
Simple jeu de caractères ou indication d’une fabrication singulière, « mutante », d’un objet hybride, l’introduction des hashtags questionne la place du livre en tant que produit culturel à l’heure des réseaux sociaux et de l’internet. De quel(s) univers les mots-clés sont-ils la clé ?
S’agit-il d’une astuce technique, de l’avènement d’un nouvel outil littéraire, d’une procédure de détournement parodique d’un code devenu familier à chacun ou d’une simple stratégie éditoriale de singularisation ?
Le livre peut-il accueillir sans dommages ce signe définit par Paveau1 comme « signe hybride, entre technologique et littéraire » ? Et quels sont les apports de ces nouveaux médias aux pratiques d’écriture ?

Pour comprendre l’utilité des hashtags dans le livre de Rosa Montero, nous avons choisi trois focales d’analyse :
1) L’index des hashtags en lui-même (p.205), en tant que dispositif de communication
2) La vie d’un hashtag à l’échelle du livre, en tant qu’outil de navigation
3) Le rôle des hashtags dans un chapitre, comme instrument de compréhension

Se référer aux réseaux sociaux dans un livre implique de jouer avec l’histoire racontée, le temps de l’écriture et le temps de la lecture. Les hashtags constituent une abstraction : le sujet, thème du texte et sujet de l’énonciation, disparaît de l’expression. Un hashtag, par sa grande généralité, vise une diffusion maximum, avec une expressivité peu subjective afin de pouvoir être partagé par le plus grand nombre.
dAinsi, la liste des hashtags modifie le sens du livre : elle offre une autre lecture, un système de coordonnées dans lequel la généralité, l’abstraction nous détache des faits biographiques évoqués. En partant de l’index des hashtags, on pourrait écrire un tout autre texte : disparition du sujet, du personnage et de l’écrivain en tant qu’énonciateur.
Mais les hashtags, comme sur les réseaux sociaux, servent tout de même une subjectivité : « pratique personnelle d’indexation par tagging »2, les mots-clés sont utilisés pour exprimer des émotions et modaliser des énoncés.
La modalisation, en linguistique, définit l’attitude du sujet de l’énonciation par rapport à son énoncé et notamment la manière dont il nuance ou rectifie son propos3. Or, par le biais des hashtags, Rosa Montero exprime sa sensibilité : implication émotionnelle (#Bonheur, #Culpabilité, #Mutante, #Bizarres, #Intimité, #Légèreté...), connotation axiologique (engagement relatif aux valeurs : #HonorerSesParents - et ses variantes, #Ambition, #FaireCeQu’IlFaut... ), proposition polémique : #Place, #PlaceDeLaFemme, #PlaceDeL’Homme, #FaiblesseDesHommes...), l’expression de la subjectivité en lien avec l’écriture -son point de vue d’écrivain (#Mots, #Coïncidences...).
L’usage des hashtags apparaît bien comme une invitation de l’écrivain aux lecteurs à investir de nouveaux lieux de discussion. Cependant, ces hashtags ne sont pas actifs. Signe d’une expérimentation littéraire, on peut aussi y voir la journaliste au travail. Le livre est le lieu où se réalise un reportage sur ce qu’est l’écriture d’un livre à l’ère du numérique, ainsi que sur les outils actuels de l’écrivain.
Rosa Montero n’hésite pas à inclure dans le corps du texte les outils numériques dont elle se sert : elle met en scène leurs apports (la biographie d’un personnage célèbre trouvée sur Wikipedia, la micro-fiction au travers de la consultation d’un blog, l’évocation des hashtags et des espaces de discussion, de partage d’opinion, les banques d’image et la notion de portrait (selfie, instagram), les avis de ses amis (facebook), la discussion à distance (skype).
Par ailleurs, par la diversité des documents convoqués (textes extraits de livres, archives numériques, images de Marie Curie, images personnelles, liens internet), Rosa Montero mime, dans l’espace du livre, des pratiques liées au monde numérique.
Mais c’est aussi par les thématiques que Rosa Montero fait le lien entre son sujet et les réseaux sociaux : il est significatif, qu’à travers les époques, se trouvent des problématiques similaires, telles les notions de notoriété, de visibilité, de réputation, de communauté.
Marie Curie a été en vedette dans les médias de son époque, et elle en fut aussi victime. Pionnière là aussi, mais malgré elle, en matière de notoriété, de réputation, et d’appartenance à un groupe influent, la Communauté scientifique.
Il semblerait que la convocation des nouveaux médias par Rosa Montero soit d’une double efficacité : le sujet de son livre a déjà une grande notoriété (Marie Curie), et le choix d’un traitement littéraire hybride, mettant en scène les réseaux sociaux, est aussi une manière de faire remarquer son livre.

***

Un hashtag a dans l’espace du livre plus ou moins d’amplitude de présence, il possède une valeur sérielle, une extensivité. Outil de navigation dans le livre, marqueur d’une idée force, d’une idée clé que veut développer et souligner Rosa Montero. Comment cette idée se développe-t-elle ? Par dissémination liée à la notion de réseau, par circulation -virale ou non- d’un message singulier ?
Prenons, par exemple, les hashtags liés à la famille : #HonorerSaMère, #HonorerSesParents, #HonorerSonPère : les trois hashtags apparaissent au même moment du texte : p.39-40 soit dans le chapitre 3 intitulé « Une petite étudiante bien sage » évoquant la jeunesse studieuse de Marie Curie. La mention de la filiation et du sens du devoir semble ici évidente.
Mais « honorer sa mère/ses parents/son père » est une expression qui n’est pas neutre : est-ce que le choix des études fait par Marie Curie est une façon d’« honorer » son père, comme est énoncé par le premier surgissement du #HonorerSonPère p.39 :
« Mais elle se décida finalement pour la physique et la chimie, comme Wladislaw : #HonorerSonPère. »
Ici, le hashtag sert de résumé, d’équivalence mettant au même niveau la décision de Marie Curie et l’interprétation de Rosa Montero. Le mot-clé ouvre une possible discussion, au-delà du simple fait raconté.
Et en effet, le choix de l’expression « honorer son père » est discutable : il y a une modalisation forte, expression d’un jugement de valeur de Rosa Montero : on pourrait lire le choix de Marie Curie d’une autre manière : faire de la physique non comme hommage ou fidélité à son père mais comme stratégie de réussite. Marie Curie s’expatrie et choisit un domaine peu exploré pour se donner le maximum de chance.
Le #HonorerSonPère enclenche l’apparition des deux autres (dès la page suivante) et d’un réseau d’idées autour des thèmes de la filiation, du sens du devoir, de l’injonction sociale : « #HonorerSesParents, donc. Quelle terrible injonction, quelle obligation souterraine et souvent inconsciente, quel piège du destin » p.40.
Le hashtag permet à l’auteur de changer de registre : de l’explicatif, elle passe au questionnement, voire à la déploration pathétique. C’est une prise de parole personnelle qui vise à créer un collectif de l’indignation, tel un hashtag-slogan.
Cette fonction de commentaire, de prise de position, se trouve dans ces hashtags du devoir social qui jalonnent le texte : ex : p.104 « Ah, ces géniteurs qui ne sont jamais satisfaits et pour lesquels rien n’est suffisant...#HonorerSonPère ».
***
Page 126 apparaît une hashtag particulier #CulpabilitéDeLaFemme : il l’est parce qu’il n’est présent qu’une seule fois, dans le chapitre 10 (pp.117-129 - « Une histoire de doigts »).
En général, les hashtags apparaissent vers la fin des chapitre, comme outils de compréhension : c’est également le cas dans ce chapitre où Rosa Montero exprime en début de chapitre une difficulté : p.117 : « Il y a deux choses difficiles à comprendre dans la biographie de Marie Curie ».
La 1re – l’aveuglement de Marie et Pierre face à la dangerosité du radium – n’implique pas de recours au hashtag : les simples faits biographiques semblent suffire à Rosa Montero pour exprimer son questionnement.
Mais pour le second problème, p.123, Rosa Montero convoque un hashtag presque immédiatement : le silence de Marie Curie sur la condition féminine implique le #Ambition, thème dépassant le cas de Marie Curie.
Le hashtag #Ambition reprend une expression tirée d’un article dévalorisant de la presse de l’époque à propos de Marie mais le hashtag entraîne Rosa Montero très loin de son propos initial. Le hashtag recontextualise le thème, extrait une problématique et a ici véritablement valeur de clé. Rosa Montero navigue alors à travers les époques : elle passe de Marie Curie à Simone de Beauvoir, montrant ainsi par ce hashtag et cette thématique que l’expérience de Marie Curie est historiquement éclairante.
Ce processus d’élargissement du propos prépare le surgissement du hashtag isolé : la condition féminine, à travers les âges, au final se condense, se résume, presque fatalement, dans cette expression #CulpabilitéDeLaFemme, dont la syntaxe froide, dépersonnalisée sonne comme un mauvais sort, un couperet. Rosa Montero évoque le manque d’attention portée par Marie Curie à son propre corps, à sa féminité, reflet de l’absence de prise en considération des dangers impliqués par le maniement de substances dangereuses. Ce hashtag arrive, isolé, pour parler d’une profonde blessure, la perte d’un enfant, avant la naissance, due à un comportement imprudent :
p.126 : « Mais sous toute cette négation rugissait la #Culpabilité, cette fameuse et traditionnelle #CulpabilitéDeLaFemme ».
***
Le hashtag, outil de notre modernité, sert donc aussi à dire la plus ancienne des vérités, des expériences, ce « cri », ce « rugissement » d’entre les âges (p.127 : « La peine et la #Culpabilité à vif. Quel cri final déchirant ». Il a une valeur émotionnelle très forte, qui, en parlant du plus intime, peut rendre compte d’une expérience commune. Il fait alors penser à l’usage actuel des hashtags créés tels des cris de ralliement, des slogans fédérateurs, des signaux de lutte.

Marianne Lasserre, documentaliste

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