Le samedi 23 novembre, le lycée Edouard Herriot est très heureux d’accueillir l’auteur Gaël FAYE dans le cadre de son projet autour de la mémoire des génocides.
Afin de préparer cette rencontre, les élèves de Tle HGGSP lisent le roman Jacaranda qui vient de remporter le prix Renaudot 2024.
Le journal du lycée, L’OEil du dragon, rend compte de cette rencontre :
Gaël Faye, musicien, écrivain, porte-parole du génocide des Tutsis au Rwanda
Le samedi 23 novembre 2024, plusieurs lycéens et élèves en classe préparatoire ont eu la chance de participer à une rencontre au lycée organisée avec le célèbre écrivain et musicien Gaël Faye, accompagné de son éditrice et de son collègue et ami le musicien Samuel Kamanzi. Au cours de cette conférence les élèves en Terminale HGGSP de la classe de Mme Lissillour ont pu lui poser des questions sur son dernier ouvrage : Jacaranda. Ouvrage relatant la complexe reconstruction du Rwanda après le génocide des Tutsis.
SA VIE, SON PARCOURS
Gaël Faye naît à Bujumbura au Burundi en 1982, d’une mère rwandaise et d’un père français. Il y vivra jusqu’à ses treize ans puis s’installera en France en 1994 suite au déclenchement de la guerre civile au Burundi et aux actes de violence perpétrés sur les Tutsi. C’est pendant son adolescence qu’il s’initie au hip hop, rap, et autres musiques, une façon pour lui d’extérioriser la souffrance causée par le lourd silence de sa mère sur ses origines et le génocide. En 2013, à 31 ans, après des débuts en groupe… Gaël Faye sort son premier album solo, son disque reçoit le Prix Charles-Cros des Lycéens.
Mais c’est en 2016 que sa notoriété explose avec la publication de son premier roman Petit Pays, il reçoit de nombreux prix et Gaël Faye enchaîne les interviews et séances de dédicaces. C’est la première fois qu’un livre sur le génocide des Tutsis se porte sur le point de vue d’un pré-adolescent vivant au Burundi, en plus d’être écrit par un auteur francophone. En 2024, Jacaranda, le second roman de Gaël Faye est publié chez la maison d’édition Grasset et reçoit le célèbre prix Renaudot. Dans ce roman, qui évoque la complexe reconstruction du Rwanda après le génocide, Gaël Faye utilise de nombreux points de vue pour illustrer la force des survivants, la souffrance des descendants, et la frustration des adolescents face au silence de leurs parents. Le livre est si bien accueilli par la critique que Gaël Faye organise de nombreuses lectures musicales en France et surtout à Kigali, capitale du Rwanda.
RÉSUMÉ DE LA RENCONTRE DU SAMEDI 23 NOVEMBRE
La conférence s’ouvre par la lecture d’un extrait de Jacaranda par 2 élèves de Terminale HGGSP. Puis vient la question de la symbolique du jacaranda, arbre central du roman. Cet arbre aurait-il pu être remplacé par un autre symbole ? Ce à quoi Gaël Faye répondra que le jacaranda n’est pas l’unique symbole de la reconstruction du Rwanda après le génocide, il y a le palais où sont recueillis les orphelins du génocide, le chalet du lac, etc… mais “Le jacaranda était une façon de représenter cette discussion entre les différentes générations, celle d’avant et pendant le génocide, et celle d’après”. Il explique également le choix de la couverture : le jacaranda sur un fond mauve. Le mauve était en fait la couleur du deuil au Rwanda avant que le gris ne s’impose.
Par la suite, d’autres élèves lisent un passage clé du livre : une discussion entre Milan (le protagoniste) et sa mère (Venancia) qui lui reproche ses recherches sur le génocide. “Vous avez été autrefois dans la même situation que Milan, est-ce que votre mère vous en a également voulu de chercher des réponses sur vos origines ?” demande une élève. “Je ne pense pas que Venancia en a voulu à Milan, je pense qu’elle voulait le protéger. Ça a été le cas dans beaucoup de familles rwandaises, notamment dans la mienne.” Gaël Faye met donc en lumière ce coté des familles tutsis ayant réchappé du génocide et se muant dans le silence, non pas par pudeur, mais simplement dans l’objectif d’épargner à leurs enfants les horreurs qu’ils ont vu ou subi. “Comment avez-vous vécu ce mur du silence ?” “Très mal à l’adolescence, écrire a été ma révolte, un exutoire pour combler cette part manquante de mon histoire”.
Gaël Faye témoigne ensuite de sa vie à Kigali, de nombreux élèves lui demandent si la racialisation Tutsi/Hutu est encore présente ou si la société a réussi à la dépasser. Selon lui, cette hiérarchisation “ethnique” ne serait plus d’actualité, en revanche les traces laissées par le génocide sont encore palpables. Gaël Faye nous raconte son expérience avec l’un de ses anciens collègues, qui chaque début du mois d’avril (mois des commémorations au Rwanda) courait se cacher en haut d’un arbre et y restait pendant plusieurs jours durant. Il nous explique que cet homme, alors qu’il n’avait que cinq ans, a dû se cacher en haut d’un arbre pour échapper aux génocidaires, l’arbre représentait pour lui une protection nécessaire pour réchapper aux souvenirs qui revenaient le tourmenter. “Beaucoup de survivants disent qu’ils sont morts au moment du génocide. On ne guérit jamais de ce traumatisme, on vit avec, on va mieux parfois, mais on n’en guérit jamais”. La question de la cohabitation victimes/génocidaires interroge beaucoup les élèves, comment une telle chose est-elle possible ?
Gaël Faye témoigne donc de l’histoire de la cousine de sa mère, une femme ayant vu ses sept enfants se faire massacrer à la machette sous ses yeux par son voisin qui lui aurait ensuite dit “Tu mourras de douleur”. Aujourd’hui, cette femme vit encore à proximité de cet homme. Elle ne lui a jamais pardonné et ne lui pardonnera sûrement jamais, mais elle n’a pas d’autre choix que de vivre avec lui, le meurtrier de ses enfants. “Et lorsqu’elle a besoin de bras pour l’aider à porter des charges lourdes, c’est lui qu’elle appelle”. Cette cohabitation paraît absurde, invraisemblable, mais si elle ne s’était pas mise en place le Rwanda serait encore dans les larmes et le sang à cette heure ci. “Si les rwandais arrivent à cohabiter, alors pour moi aucun autre peuple n’a d’excuses pour la division”.
Gaël Faye rappelle ensuite l’importance des commémorations, même si les trois mois consécutifs au Rwanda peuvent paraître lourds, ils sont primordiaux pour ne pas “muséifier la mémoire”. Pour éviter à tout prix que le génocide des Tutsi au Rwanda ne devienne qu’un jour férié dont tout le monde ignore l’origine. “Le risque de ne pas se souvenir, c’est que ça se reproduise”. La fin de cette conférence approche, pour la clôturer Gaël Faye et son musicien interprètent “C’est cool” en changeant le refrain par “yoka”(écoute en lingala). Elèves et professeurs chantent alors sur le doux sons de la guitare de Samuel Kamanzi. Tous sont heureux d’avoir pu rencontrer une aussi belle personne.